samedi 1 décembre 2012

Travailler plus, pour avoir ....raison !

Un de mes étudiants a pris la mauvaise habitude pour asseoir une proposition de mettre en avant son laborieux travail. Sa formulation est la suivante :

« Si, comme moi, vous avez analysé en profondeur la situation financière de cette entreprise et si, comme moi, vous avez....., alors, comme moi, vous serez en mesure de conclure que.... »

L'analyse de cet argument, qui au demeurant est habituellement très convaincant, permet d'identifier une première structure logique simple dont la forme est « Si l'analyse A est réalisée, alors la proposition B est bonne ».

Dans le schéma argumentatif mis en oeuvre, il y a plusieurs formes de renforcement. La première est la formation d'une conjonction : si l'analyse A est réalisée et si l'analyse B est réalisée et si l'analyse C est réalisée et... Au fur et à mesure, les chances qu'un interlocuteur ait réalisé toutes ces analyses s’amenuisent. La mise en proximité de l'interlocuteur avec l'énonciateur par utilisation répétée de « comme moi » amène naturellement l'interlocuteur à comparer son propre travail avec celui qui a été réalisé par l'énonciateur. L'utilisation de « en profondeur » suggère que l'analyse réalisée par l'énonciateur est probablement de qualité.

L'essentiel de l'argument est cependant ailleurs. Voici sa structure complète :

1. Si vous aviez vraiment bien réalisé toutes ces analyses, alors la conclusion B s'imposerait à vous

2. mais comme vous n'avez probablement pas réalisé toutes ces analyses, alors vous ne pouvez pas vraiment apprécier la qualité de la proposition B

3. donc puisque je suis le seul à avoir bien réalisé toutes ces analyses, vous devez me croire sur parole lorsque j'affirme B est une bonne proposition. (Il y a d'autres variantes, selon la logique à laquelle on fait intuitivement appel)

Pour résumer l'essentiel de l'argument,

La négation de B, la proposition soutenue par l'énonciateur, par un interlocuteur implique que celui-ci n'a, de fait, réalisé qu'un travail superficiel.

Comme généralement personne n'accepte implicitement d'affirmer qu'il ou elle n'a pas effectué un travail en profondeur, les chances qu'une contre argumentation soit développée sont particulièrement faibles.

Cette forme d'argument manque à l'évidence de pertinence. Une proposition n'est pas bonne (ou mauvaise) parce que celui qui la propose a longuement oeuvré à sa conception. Il s'agit d'une forme de recours à une forme autorité. L'image traditionnelle de l'autorité est celle d'une personne dont la réussite professionnelle est une évidence aux yeux de tous. C'est, par exemple, celle d'un savant honoré par ses pairs et d'un âge déjà avancé. La représentation mentale du labeur intellectuel, les années accumulées à explorer les choses, se confond avec celle de l'érudition dont le territoire mental recouvre celui de la vérité, de la validité d'une proposition. Le glissement du travail vers la vérité s'appuie également sur la conception sur laquelle la vérité ne se révèle qu'à l'issue d'une quête souvent longue et laborieuse.

On trouvera dans le monde politique (et dans celui des entreprises) des arguments similaires : cela fait plus de 6 mois que notre commission travaille sur ce dossier... Ce travail est le fruit des efforts de plusieurs dizaines de personnes de grande qualité.... Il ne suffit pas de travailler plus pour avoir raison! Cet argument d'autorité manque de pertinence.