samedi 7 juin 2014

Les gros et les petits...

Un matin sur France Inter, un chroniqueur automobile, nous éclairait sur la performance écologique des voitures vendues en France, sur les vertus et les malheurs du bonus-malus gouvernemental, etc.

Une chronique très intéressante, laquelle se termina cependant en nous faisant remarquer que tous ces débats autour du bonus-malus, autour des règles de certification de la performance écologique des véhicules, autour de l'obligation d'équiper les petits modèles diesel d'un système de capture des particules polluantes, etc.. Et que tout cela était...très futile parce qu'après tout le transport personnel ne représentait qu'une faible fraction des émissions des gaz à effet de serre (moins de 10%). Le gouvernement serait bien inspiré de s'occuper des 90% restant plutôt que s'attaquer aux voitures...

Ce procédé argumentatif consiste à relativiser une chose par rapport à une autre. On peut, selon les besoins, montrer la faible taille d’une chose ou bien au contraire son importance relative. Il entre donc dans la catégorie des arguments fondés sur la comparaison. Plus généralement, ces arguments font appel à une forme de pensée : l'analogie. 

Un argument fondé sur la comparaison fonctionne schématiquement de la manière suivante. Supposons que l'on recherche l'assentiment d'un électeur français vis-à-vis d'action  politique, A. Est-ce que A est un bon choix ? Est-ce que A est une mauvaise proposition ? Supposons qu’une action similaire à l'action A ait déjà donné d'excellents résultats dans un ou plusieurs contextes différents, par exemple dans d'autres pays. Si ces pays sont similaires à la France, alors il est fortement probable que l'action A produira les mêmes bénéfices en France que dans les pays où elle a déjà été mise en place avec succès. Si A opère dans P et si P et F sont similaires, alors A opèrera aussi dans F. 

Tout l'art des débatteurs consiste à jouer avec les deux prémisses : { A opère dans P} et  {P et F sont similaires}. Le contradicteur cherchera à montré que { A n'opère pas aussi bien que cela dans P}. Et si les approbateurs ont au préalable démontré que {A opère bien dans P}, alors les contradicteurs s'attaqueront au second maillon de comparaison. Il s'agit du maillon faible. En effet, P et F sont surement similaires sur un grand nombre de dimensions. Cependant, il est fort probable que P et F sont également différents sur plusieurs dimensions significativement intéressantes pour l'auditoire que l'on cherche à convaincre.  {P et F sont similaires} est le maillon faible parce qu'il est facile de démontrer qu'il ne constitue pas une vérité.

Par ailleurs, il suffit souvent de dire que ce n'est pas pareil pour souvent laisser coi un contradicteur.  Le lecteur pourra lire à ce sujet le billet intitulé C'est pas pareil !

Le cas mentionné en introduction est similaire, sans cependant être identique au cas général de la comparaison présentée ci-dessus. On peut utiliser le processus de comparaison dans deux sens. Le premier en s'appuyant sur les similitudes et le second sur les différences. Par ailleurs, il repose sur la proportionnalité entre la cause et le résultat espéré d'une action sur la cause.  Si C est une cause importante d'un problème et c une cause marginale de ce même problème, alors si l'on veut (vraiment) régler le problème il convient de s'attaquer à C plutôt qu'à c. Mais, veut-on vraiment s'attaquer au problème.

Le Schéma est le suivant : 

À et A' sont des actions (des politiques). C et c sont les causes d'un problème dont on recherche possiblement la solution. X est la conclusion de l'argument.
  • [ {si A opère sur c} et {si C > c}, alors {A'(C) >A(c)}], 
  • [donc si A(c) mais pas A'(C), alors X]. 
La conclusion X peut prendre plusieurs formes, mais en substance on peut conclure que la politique (A) choisie manque d'efficacité, puisqu'elle ne s'attaque qu'à des causes mineures.  Notons qu'il n'est pas nécessaire d'énoncer {A'(C) >A(c)}. Il suffit que les personnes que l'on cherche à convaincre le pensent effectivement, pour que le dispositif fonctionne.  

À l'évidence, bien que cet argument puisse être très convaincant, il est erroné. Il manque au moins une composante pour assurer son fonctionnement, à savoir {il existe au moins un A' qui opère sur C}. Autrement dit, on doit disposer d'une mode opératoire vis-à-vis des causes les plus importantes d'un problème pour obtenir le corollaire implicite {A'(C) >A(c)}. Il convient d'agir pour un régler un problème sur les causes pour lesquelles on dispose d'un levier efficace et de préférence efficient. 

L'argument est déjà trompeur puisqu'il omet une condition. Mais, on peut augmenter sa force en jouant sur la taille de c par rapport à celle de C. Lorsque c représente 80% de C, la similitude entre c et C est forte. Par contre lorsque c ne représente que 1% de C, ces deux entités apparaissent naturellement très différentes. Pourquoi devrais-je arrêter de conduire ma voiture, alors qu'un seul arbre abattu en Amazonie cause plus de tort à la planète qu'une année d'utilisation (par ailleurs très peu fréquente) de mon véhicule ? En effet, pourquoi chercher à faire une économie de quelque 10 millions d'euros ici ou là, puisque le déficit budgétaire de la France est d'environ 88 milliards d'euros?


Cet argument est fréquemment utilisé pour rejeter une proposition. Celle-ci n'agit que sur "une goutte d'eau" par rapport l'ensemble des causes d'un problème. Alors, il n'y a aucune chance pour que l'on apporte une véritable solution au problème. Certes ! Et alors ? Réciproquement, lorsque l'on veut garantir les succès d'une politique (au moins dans l'esprit du bon peuple), on doit s'attaquer "aux gros" (aux riches... à ceux qui ont les moyens). Les propriétaires de gros 4 X 4 doivent être taxés... pas les propriétaires d'un petit véhicule. Mais, on pourrait rétorquer que les  4 X 4 ne représentent que 10 % de la pollution des véhicules... et que le gouvernement ferait mieux de s'intéresser à la pollution des 90 % qui restent. On peut toujours trouver un plus petit ou un plus gros problème à montrer du doigt.

Ne doit-on pas considérer un problème, par exemple un problème de pollution, comme la somme d'une multitude de micropollutions ?  0,1 % de l'ensemble peut éventuellement représenter la cause la plus importante du problème. Une rivière n'est faite que d'une multitude de gouttes d'eau. Si l'on regarde une goutte par rapport à la rivière, alors il apparaitra vain de s'attaquer à cette goutte d'eau pour traiter le problème. Si on regarde une goutte par rapport à une autre : la perspective change.

Ceux qui font la promotion d'une politique, comme ceux qui s'y opposent, usent et abusent de ces changements de perspectives ! À nous d'apprendre à changer de perspectives. D'une perspective à l'autre, on voit le monde différemment !