lundi 22 octobre 2012

Convoquer les forces de l'histoire !

La scène : vendredi 12 octobre 2012, le 7 — 9 de France Inter. Patrick Cohen, l'animateur du 7-9, introduit le sujet. Il s'agit de débattre de deux propositions de François Fillon pour relancer l'économie en période de crise. La première consiste à supprimer la durée légale du travail. Patrick Cohen demande alors à ses invités de commenter cette proposition. Le premier, l'économiste Bernard Maris, qui n'est pas d'accord avec cette proposition, fait la réponse suivante :


« C'est une remarque [proposition] idéologique. Vieille remarque de la droite ! C'est la remarque que l'on entend depuis Guizot, Thiers, Dunoyer, tout ça ...c'était : pas assez de travail, il ne faut pas protéger les travailleurs. Depuis le Front populaire, on n’arrête pas de dire que le temps légal du travail, ça casse le marché du travail, ça ne fluidifie pas le marché du travail... La durée légale du travail c'est une protection historique du travail. Revenir là-dessus c'est un moins-disant social. Cela veut dire que le travail est la variable d'ajustement de la mondialisation.... »

Il m’apparaît difficile de se forger une idée sur la qualité de cette proposition sur la base d'une telle argumentation. Bernard Maris n'argumente pas vraiment contre la proposition. On apprend qu'elle est ancienne et de droite, il qu'il n'est pas d'accord avec cette proposition. Mais, l'on ne sait pas pourquoi il n'est pas d'accord. Franchement, on reste sur sa faim. On a l'impression que convoquer les forces de l'histoire cela permet d'enfumer les auditeurs !  

Version révisée le 22/10/2012

Les mots ont leur importance...

Le Philosophe Michaël Foessel, auteur de Après la Fin du Monde : Critique de la Raison Apocalyptique, nous a rappelé dimanche 21 octobre 2012 dans l'émission de Laurence Luret (Parenthèse, France Inter) l'importance des mots. Vivons-nous la fin du monde ou la fin d'un monde? Telle était l'une des accroches de l'émission. Il nous a rappelé que d'une part les mots ont un sens et que d'autre part il est fréquent que les discours politiques et médiatiques fassent un usage inapproprié des mots. Souvent d'ailleurs, l'exagération est la règle. Il s'agit de donner de l'importance à la chose. Chacune d'entre nous peut observer tous les jours ce phénomène dans la sphère publique, professionnelle ou privée. Qui se rappelle la victoire historique de ce petit club de foot l'année dernière ? (visiblement elle n'est pas passée dans l'Histoire). Aujourd'hui tout est énorme

Michaël Foessel nous rappelle que l'usage abusif de certains mots (accident, catastrophe, apocalypse, sauvetage, etc.) déclenche irrémédiablement une forme particulière de relation au temps et à l'avenir. Son message doit nous inciter à questionner les mots que les hommes et femmes politiques nous assènent quotidiennement, comme prioritaire ou juste. Certains partis politiques font d'ailleurs main basse sur certains mots. Ils se sont ainsi approprié un champ sémantique. On peut se rappeler la phrase maintenant célèbre de V. Giscard d'Estaing : Vous n'avez pas le monopole du coeur. (à voir sur le site de l'INA).
   

Site de l'émission (et possibilité de la podcaster ou de l'écouter pendant quelques jours encore)  

jeudi 4 octobre 2012

C'est populaire .... donc...... c'est bon !

On peut être pour une chose... on peut être contre une chose... mais dans tous les cas,  il faut savoir si on a de bonnes raisons d'être pour ... ou d'être contre.

Le 17 septembre, Yves Calvi proposait, en fin de soirée, dans l'émission Mots Croisés un débat intitulé « Homos, Mariés et Parents ? » Je pensais y trouver un débat intense dans lequel chacune des parties cherchant à convaincre les auditeurs du bien-fondé de sa position sur le sujet, développait son argumentation et combattait celle des adversaires à sa cause.

J'ai retenu de cette soirée que pour les supporters du mariage homosexuel le débat n'était plus nécessaire puisqu’à l'évidence 64 % des Français était favorable à son adoption et qu'il serait donc, de toute manière, autorisé par la loi. J'ai également découvert que le fait qu'une proposition de loi soit populaire autorisait ses défendeurs à dire qu'il s'agissait donc d'une bonne mesure. Elle est populaire, elle est donc bonne ! Cette forme d'argument est à mettre en relation avec celle qui consiste à dire qu'une mesure est bonne parce qu'elle est courageuse. Il faut en effet être courageux pour favoriser l'adoption d'une mesure qui n'est pas populaire. Elle n'est pas populaire puisqu'une majorité des électeurs n'y est pas favorable.

Les mêmes données, à savoir 64 % des Français sont favorables à la mesure A, peuvent donc servir d'argument dans un sens comme dans l'autre. Pour obtenir notre assentiment à l'adoption de la proposition A, il suffit de dire qu'elle est bonne puisqu'elle est populaire et de dire que puisqu'il est courageux de s'y opposer, il est bon de s'y opposer.

Il convient de se demander si le courage ou la popularité sont des arguments recevables. Est-ce qu'une mesure est bonne parce qu'elle est populaire ? Est-ce qu'une réforme est bonne parce qu'elle est courageuse ? Plus précisément, est-ce que le fait de savoir qu'elle est populaire (ou courageuse) nous permet de juger de sa valeur, laquelle est proportionnelle aux bénéfices (nets) que son adoption procurera à la société. À l'évidence, il n'y a pas de lien logique entre popularité et bénéfices pour la société. Afin de s'en assurer, il convient de se demander au préalable ce qui peut constituer un bénéfice pour la société. On admet que l'augmentation du pouvoir d'achat, la réduction du chômage, la réduction des inégalités, etc. sont des changements bénéfiques.

Par contre, il est aisé de concevoir qu'une mesure qui est susceptible de procurer des bénéfices à la société soit effectivement populaire auprès des citoyens. Ainsi si l'on parvient à convaincre les citoyens qu'une mesure est bonne, par exemple à l'aide d'un argument A, alors il est probable qu'elle devienne populaire. La séquence est : 

Argument A --> la réforme est considérée comme Bonne pour la société --> la réforme est Populaire.
(le dernier lien repose sur l'hypothèse que les citoyens apprécient les réformes qu'ils qualifient comme bonne pour la société).
Cette séquence est substantiellement différente de la séquence proposée dans l'argumentation dont on cherche à apprécier la qualité, à savoir :

La réforme est Populaire -->, la réforme est donc Bonne pour la société.

L'argument de popularité, bien qu'il puisse être convaincant, n'en est pas moins fallacieux puisqu'il n'apporte aucune information quant à la qualité de la proposition.

Pourquoi est-il alors si convaincant ? La popularité d'une mesure est, de manière implicite, une pression sociale, celle de la conformité. Par ailleurs, psychologiquement il est toujours plus confortable d'être dans le camp des vainqueurs.

Dans le cas du mariage homosexuel, les opposants pourraient imaginer être traité d'homophobes ou d'affreux conservateurs qui s'opposent à la marche inéluctable du progrès... deux qualificatifs dont personne ne souhaite à l'évidence se sentir affublé.

À qui profite le crime ? Il n'y a, a priori, que des avantages électoraux pour un parti politique qui se propose de faire adopter une proposition qui est déjà populaire. Certes, il apparaitra à l'écoute des citoyens... On pourra, pour disqualifier les opposants d'une réforme populaire, les accuser de ne pas être à l'écoute des citoyens. On pourra même utiliser l'argument selon lequel le peuple est dans sa majorité sage et, puisqu'il ne peut donc se tromper, une réforme populaire devra donc être considérée comme une bonne réforme. Mais finalement, que la réforme soit populaire ou non, que le peuple soit sage ou non, que les opposants soient eux-mêmes considérés comme des citoyens éclairés ou non, la question restera  toujours la même : est-ce que cette réforme est Bonne pour la société ?
  
Pour s'assurer que courage et popularité ne sont pas des arguments pertinents pour apprécier qu'une proposition est digne d'intérêt... on peut regarder comment son statut évolue au cours du temps. Prenons le cas d'une proposition de loi que l'on pourrait qualifier de courageuse parce qu'elle n'est pas populaire. Supposons qu'elle soit finalement votée et mise en œuvre avec succès. Conserve-t-elle son qualificatif de courageuse ? On peut répondre à cette question par la négative. Le courage consiste à faire accepter une réforme qui n'est pas populaire. lorsque elle est mise en œuvre le courage a-t-il encore un peu de crédit ? On peut par ailleurs se demander si le courage ne qualifie pas plus celui ou celle qui soumet, malgré son impopularité, une réforme à notre assentiment.