Supposons que deux débatteurs argumentent sur la valeur d’une
proposition, par exemple, sur la réduction des flux migratoires. On peut
facilement imaginer que l’un des deux a le sentiment de perdre pied. Sa riposte
discrète : l’attaque ad hominem ! Au lieu d’argumenter sur l’intérêt
ou sur le manque d’intérêt de la réduction des flux migratoires, il s’en prend
à son interlocuteur. L’objectif est de saper la crédibilité de son opposant ou
bien de détourner l’attention de l’auditoire, au moins temporairement, sur un
aspect que l’on connait pour être une faiblesse de l’opposant ou bien faire
définitivement glisser le débat sur un autre sujet. La forme habituelle de
l’attaque ad hominem consiste à disqualifier son interlocuteur, parfois même en
y associant une touche d’humour pour s’attirer la sympathie de l’audience. Par
exemple, l’attaquant peut suggérer que son opposant n’a pas toujours eu sur ce
sujet-là une opinion d’une grande constance.
En effet, homo
politicus n’aime pas être pris en flagrant délit de se dédire. Changer d’avis
semble, en politique, être une maladie honteuse. Dans les autres arènes
professionnelles, changer d’avis est considéré comme une preuve d’intelligence
ou au moins celle d’une grande capacité à s’adapter aux changements du monde.
Pourquoi n’est-ce pas le cas en politique ? Comme le disait Descartes, si
deux opinions s’opposent, alors au moins une des deux est erronée. Changer
d’opinion c’est indirectement admettre que l’on peut se tromper. Autrement dit,
c’est avouer que l’on n’est pas fiable. Et c’est un défaut que les adversaires
savent bien exploiter lorsqu’ils sont à court d’arguments ou lorsqu’ils pensent
que leurs arguments ne font plus mouche.
Les arguments ad
hominem, autrement dit les attaques à la personne, sont particulièrement
fréquents dans les débats et dans les commentaires politiques. Ils sont
d’autant plus faciles à mettre en œuvre que l’opposant est souvent inconstant.
Ils sont aussi particulièrement efficaces, d’autant plus efficaces que
l’auditoire semble malheureusement en raffoler.
Les arguments ad
hominem appauvrissent grandement le débat qu’il soit politique ou d’une autre
nature. De fait, ils mettent un terme à l’affrontement des idées. De notre
point de vue, il signale la faiblesse du débatteur qui a recours à un tel
argument.
Une célèbre attaque
ad hominem fut, parait-il, la réponse que fit lors d’un débat public Abraham
Lincoln à une attaque ad hominem de son opposant Stephen Douglas. Celui-ci
voulait montrer à l’auditoire que l’opinion d’Abraham Lincoln sur un sujet, que
l’on qualifierait de technique, était certainement inférieure en
qualité à la sienne. Il dit alors bien connaitre Abraham Lincoln dont il fréquentait
régulièrement l’échoppe. Ainsi, il
évoqua avec subtilité le métier d’Abraham Lincoln. Pouvait-on faire confiance
sur un sujet important et pour un poste de premier plan à un petit
commerçant ? La conclusion s’imposait d’elle-même : de manière certaine,
non ! Abraham Lincoln contraria le plan de son opposant en disant effectivement
se rappeler les fréquentes visites que faisait Stephen Douglas dans son
échoppe… visites au cours desquelles il avait le plaisir de satisfaire la passion
de son opposant… pour les boissons alcoolisées ! Auquel des deux devait-on
le plus faire confiance ? À un commerçant besogneux ou à un alcoolique
patenté ?
Repérer une
attaque ad hominem est particulièrement aisée. Alors que l’on débat de la
valeur d’une proposition, le sujet de l’échange glisse, plus ou moins
subrepticement, sur les qualités de l’un des deux participants. Parfois même un
des deux protagonistes refuse le débat en jetant en pâture à l’opinion publique
les piètres valeurs ou le manque d’aptitude de leur opposant. Voici un florilège d'argument ad hominem.
- On ne peut pas avoir entièrement confiance dans votre proposition, vous avez changé si souvent d’opinion (vous êtes déjà trompé si souvent !).
- Lorsque vous étiez au pouvoir, si je me rappelle bien, votre opinion était bien différente !
- Cela ne sert à rien de débattre avec vous d’immigration. C’est bien connu, vous êtes raciste ! Votre opinion sur le sujet est déjà faite (je me refuse à débattre d’un sujet aussi sérieux que l’immigration avec quelqu’un comme vous !)
- Faut-il supprimer le défilé du 14 juillet ? Certainement pas ! Ceux qui pensent le contraire ne comprennent en rien les relations profondes qui lient la France à son armée. Ils ne sont pas des Français authentiques (même s’ils en possèdent bien la nationalité depuis fort longtemps).
- Je ne pense pas que vous connaissez bien… les Français ! Cela fait tellement de temps que vous fréquentez les allées du pouvoir !
- Je ne pense pas que vous connaissez bien… le sujet ! Monsieur Allègre, le climat ce n’est pas votre spécialité. (Vos arguments ne sont donc pas recevables !)
- Peut-on avoir confiance dans les thèses de monsieur Hulot ? Quelles valeurs peuvent donc avoir les propositions d’un présentateur télévision qui émargeait encore récemment chez TF1?
Il semble
important de faire la différence entre deux contextes très différents. De quoi
débat-on ? L’objectif premier est-il de se forger une opinion sur la
valeur des propositions que l’on soumet à notre assentiment en discutant de
leurs avantages, de leurs inconvénients et leurs risques respectifs? Dans
ce cas, l’attaque ad hominem n’est pas pertinente. Elle détourne l’attention
des citoyens du débat central en focalisant l’attention sur le débatteur.
L’objectif est-il au contraire d’élire un homme ou une femme à un poste qui
requiert des qualités que l’on ne trouve pas chez le commun des mortels ?
Si la constance dans les idées est une qualité présupposée requise, alors un moyen de disqualifier
un opposant est d’exposer son inconstance.
Entre les deux situations, la
différence est notable ! Dans le premier cas, la proposition est une politique
et c’est notre devoir en tant que citoyen de s’assurer que nous sélectionnons
la meilleure des politiques possibles. Dans le second cas, la proposition est
un homme ou une femme et c’est aussi notre devoir en tant que citoyen de nous
assurer que le meilleur des candidats possibles sera retenu pour le poste.