jeudi 15 novembre 2012

L’argument ad hominem

Supposons que deux débatteurs argumentent sur la valeur d’une proposition, par exemple, sur la réduction des flux migratoires. On peut facilement imaginer que l’un des deux a le sentiment de perdre pied. Sa riposte discrète : l’attaque ad hominem ! Au lieu d’argumenter sur l’intérêt ou sur le manque d’intérêt de la réduction des flux migratoires, il s’en prend à son interlocuteur. L’objectif est de saper la crédibilité de son opposant ou bien de détourner l’attention de l’auditoire, au moins temporairement, sur un aspect que l’on connait pour être une faiblesse de l’opposant ou bien faire définitivement glisser le débat sur un autre sujet. La forme habituelle de l’attaque ad hominem consiste à disqualifier son interlocuteur, parfois même en y associant une touche d’humour pour s’attirer la sympathie de l’audience. Par exemple, l’attaquant peut suggérer que son opposant n’a pas toujours eu sur ce sujet-là une opinion d’une grande constance.


En effet, homo politicus n’aime pas être pris en flagrant délit de se dédire. Changer d’avis semble, en politique, être une maladie honteuse. Dans les autres arènes professionnelles, changer d’avis est considéré comme une preuve d’intelligence ou au moins celle d’une grande capacité à s’adapter aux changements du monde. Pourquoi n’est-ce pas le cas en politique ? Comme le disait Descartes, si deux opinions s’opposent, alors au moins une des deux est erronée. Changer d’opinion c’est indirectement admettre que l’on peut se tromper. Autrement dit, c’est avouer que l’on n’est pas fiable. Et c’est un défaut que les adversaires savent bien exploiter lorsqu’ils sont à court d’arguments ou lorsqu’ils pensent que leurs arguments ne font plus mouche.

Les arguments ad hominem, autrement dit les attaques à la personne, sont particulièrement fréquents dans les débats et dans les commentaires politiques. Ils sont d’autant plus faciles à mettre en œuvre que l’opposant est souvent inconstant. Ils sont aussi particulièrement efficaces, d’autant plus efficaces que l’auditoire semble malheureusement en raffoler.

Les arguments ad hominem appauvrissent grandement le débat qu’il soit politique ou d’une autre nature. De fait, ils mettent un terme à l’affrontement des idées. De notre point de vue, il signale la faiblesse du débatteur qui a recours à un tel argument.

Une célèbre attaque ad hominem fut, parait-il, la réponse que fit lors d’un débat public Abraham Lincoln à une attaque ad hominem de son opposant Stephen Douglas. Celui-ci voulait montrer à l’auditoire que l’opinion d’Abraham Lincoln sur un sujet, que l’on qualifierait de technique, était certainement inférieure en qualité à la sienne. Il dit alors bien connaitre Abraham Lincoln dont il fréquentait régulièrement l’échoppe. Ainsi, il évoqua avec subtilité le métier d’Abraham Lincoln. Pouvait-on faire confiance sur un sujet important et pour un poste de premier plan à un petit commerçant ? La conclusion s’imposait d’elle-même : de manière certaine, non ! Abraham Lincoln contraria le plan de son opposant en disant effectivement se rappeler les fréquentes visites que faisait Stephen Douglas dans son échoppe… visites au cours desquelles il avait le plaisir de satisfaire la passion de son opposant… pour les boissons alcoolisées ! Auquel des deux devait-on le plus faire confiance ? À un commerçant besogneux ou à un alcoolique patenté ?


Repérer une attaque ad hominem est particulièrement aisée. Alors que l’on débat de la valeur d’une proposition, le sujet de l’échange glisse, plus ou moins subrepticement, sur les qualités de l’un des deux participants. Parfois même un des deux protagonistes refuse le débat en jetant en pâture à l’opinion publique les piètres valeurs ou le manque d’aptitude de leur opposant. Voici un florilège d'argument ad hominem.


  •  On ne peut pas avoir entièrement confiance dans votre proposition, vous avez changé si souvent d’opinion (vous êtes déjà trompé si souvent !).
  • Lorsque vous étiez au pouvoir, si je me rappelle bien, votre opinion était bien différente !
  • Cela ne sert à rien de débattre avec vous d’immigration. C’est bien connu, vous êtes raciste ! Votre opinion sur le sujet est déjà faite (je me refuse à débattre d’un sujet aussi sérieux que l’immigration avec quelqu’un comme vous !)
  • Faut-il supprimer le défilé du 14 juillet ? Certainement pas ! Ceux qui pensent le contraire ne comprennent en rien les relations profondes qui lient la France à son armée. Ils ne sont pas des Français authentiques (même s’ils en possèdent bien la nationalité depuis fort longtemps).
  • Je ne pense pas que vous connaissez bien… les Français ! Cela fait tellement de temps que vous fréquentez les allées du pouvoir !
  • Je ne pense pas que vous connaissez bien… le sujet ! Monsieur Allègre, le climat ce n’est pas votre spécialité. (Vos arguments ne sont donc pas recevables !)
  • Peut-on avoir confiance dans les thèses de monsieur Hulot ? Quelles valeurs peuvent donc avoir les propositions d’un présentateur télévision qui émargeait encore récemment chez TF1?

Il semble important de faire la différence entre deux contextes très différents. De quoi débat-on ? L’objectif premier est-il de se forger une opinion sur la valeur des propositions que l’on soumet à notre assentiment en discutant de leurs avantages, de leurs inconvénients et leurs risques respectifs? Dans ce cas, l’attaque ad hominem n’est pas pertinente. Elle détourne l’attention des citoyens du débat central en focalisant l’attention sur le débatteur. 

L’objectif est-il au contraire d’élire un homme ou une femme à un poste qui requiert des qualités que l’on ne trouve pas chez le commun des mortels ? Si la constance dans les idées est une qualité présupposée requise, alors un moyen de disqualifier un opposant est d’exposer son inconstance.

Entre les deux situations, la différence est notable ! Dans le premier cas, la proposition est une politique et c’est notre devoir en tant que citoyen de s’assurer que nous sélectionnons la meilleure des politiques possibles. Dans le second cas, la proposition est un homme ou une femme et c’est aussi notre devoir en tant que citoyen de nous assurer que le meilleur des candidats possibles sera retenu pour le poste.




Abraham Lincoln a acheté, avec un partenaire d’affaires, un magasin à New Salem dans l’Illinois. Il avait 23 ans.

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