samedi 1 décembre 2012

Travailler plus, pour avoir ....raison !

Un de mes étudiants a pris la mauvaise habitude pour asseoir une proposition de mettre en avant son laborieux travail. Sa formulation est la suivante :

« Si, comme moi, vous avez analysé en profondeur la situation financière de cette entreprise et si, comme moi, vous avez....., alors, comme moi, vous serez en mesure de conclure que.... »

L'analyse de cet argument, qui au demeurant est habituellement très convaincant, permet d'identifier une première structure logique simple dont la forme est « Si l'analyse A est réalisée, alors la proposition B est bonne ».

Dans le schéma argumentatif mis en oeuvre, il y a plusieurs formes de renforcement. La première est la formation d'une conjonction : si l'analyse A est réalisée et si l'analyse B est réalisée et si l'analyse C est réalisée et... Au fur et à mesure, les chances qu'un interlocuteur ait réalisé toutes ces analyses s’amenuisent. La mise en proximité de l'interlocuteur avec l'énonciateur par utilisation répétée de « comme moi » amène naturellement l'interlocuteur à comparer son propre travail avec celui qui a été réalisé par l'énonciateur. L'utilisation de « en profondeur » suggère que l'analyse réalisée par l'énonciateur est probablement de qualité.

L'essentiel de l'argument est cependant ailleurs. Voici sa structure complète :

1. Si vous aviez vraiment bien réalisé toutes ces analyses, alors la conclusion B s'imposerait à vous

2. mais comme vous n'avez probablement pas réalisé toutes ces analyses, alors vous ne pouvez pas vraiment apprécier la qualité de la proposition B

3. donc puisque je suis le seul à avoir bien réalisé toutes ces analyses, vous devez me croire sur parole lorsque j'affirme B est une bonne proposition. (Il y a d'autres variantes, selon la logique à laquelle on fait intuitivement appel)

Pour résumer l'essentiel de l'argument,

La négation de B, la proposition soutenue par l'énonciateur, par un interlocuteur implique que celui-ci n'a, de fait, réalisé qu'un travail superficiel.

Comme généralement personne n'accepte implicitement d'affirmer qu'il ou elle n'a pas effectué un travail en profondeur, les chances qu'une contre argumentation soit développée sont particulièrement faibles.

Cette forme d'argument manque à l'évidence de pertinence. Une proposition n'est pas bonne (ou mauvaise) parce que celui qui la propose a longuement oeuvré à sa conception. Il s'agit d'une forme de recours à une forme autorité. L'image traditionnelle de l'autorité est celle d'une personne dont la réussite professionnelle est une évidence aux yeux de tous. C'est, par exemple, celle d'un savant honoré par ses pairs et d'un âge déjà avancé. La représentation mentale du labeur intellectuel, les années accumulées à explorer les choses, se confond avec celle de l'érudition dont le territoire mental recouvre celui de la vérité, de la validité d'une proposition. Le glissement du travail vers la vérité s'appuie également sur la conception sur laquelle la vérité ne se révèle qu'à l'issue d'une quête souvent longue et laborieuse.

On trouvera dans le monde politique (et dans celui des entreprises) des arguments similaires : cela fait plus de 6 mois que notre commission travaille sur ce dossier... Ce travail est le fruit des efforts de plusieurs dizaines de personnes de grande qualité.... Il ne suffit pas de travailler plus pour avoir raison! Cet argument d'autorité manque de pertinence.


  



lundi 26 novembre 2012

Lorsque Carla Bruni-Sarkozy s'en mêle


Dans le numéro de décembre de Vogue, Madame Carla Bruni-Sarkozy parle du mariage et de l'adoption par les couples homosexuels.

Elle aurait dit : "Je suis plutôt en faveur [ du mariage et de l'adoption par le couple homosexuel ] parce que j'ai beaucoup d'amis - hommes comme femmes - dans cette situation et je ne vois rien d'instable ou de pervers dans les familles avec des parents gays." 


Bon ! On est prêt à pardonner encore un appel à l'ignorance. Ce n'est évidemment pas parce que l'on ne voit rien qu'il n'y a rien. Ce ne sont pas là de très bons arguments en faveur du mariage homosexuel  que de dire que l'on ne voit rien, que l'on ne sait pourquoi, que l'on ne peut imaginer, que cela n'a pas de sens, ...!

Jean-Michel Baylet (interrogé sur RTL le 9/11/2012) ne voyait pas comment un Député ou un Sénateur de la République Française pourrait faire correctement son travail sans une quelconque forme ancrage local (voir le billet du samedi 10 novembre 2012)Jean-Michel Baylet, est le sympathique Sénateur et président du conseil général du Tarn-et-Garonne, président de la communauté de communes.

Madame Carla Bruni-Sarkozy ne voit rien elle aussi. Mais c'est aussi peut-être parce qu'il n'y effectivement rien à voir! 





Argument ad personam

Schopenhauer évoque une forme extrême de l’attaque ad hominem que nous avons évoquée dans un billet récent, l’argumentum ad personam. Alors que l'argument ad hominem s’attaque aux propos ou aux actes de l’opposant, l’argumentum ad personam s’attaque directement à la personne. 

Il y a là une subtile différence, par exemple entre exposer au public un mensonge proféré par un opposant et traiter l’opposant de fieffé menteur. L’attaque ad personam est, d’après Schopenhauer, un excellent moyen pour dérouter l’adversaire lorsque le débat tourne à l'avantage de celui-ci. De nos jours, une telle attaque pourrait s’avérer contre-productive pour celui qui la perpètre. Lionel Jospin a découvert les effets néfastes de l'argument ad personam lorsqu'il a évoqué lors d'un voyage l'affaiblissement, associé à l'âge, des capacités de Jacques Chirac. L'attaque ad personam est toujours délicate, car il peut s'avérer difficile à celui ou celle qui l'administrent d'apporter les preuves de ces allégations.

Comme dans le cas de l'argument ad hominem, l'argument ad personam n'est pas pertinent si la discussion porte sur une proposition. En effet cet argument n'apporte aucune information utile sur la qualité de la proposition pour laquelle on nous demande notre assentiment. Comme dans le cas d'un argument ad hominem, il est relativement facile à débusquer. Le débat passe alors des caractéristiques de la proposition aux caractéristiques des débatteurs. De fait de débat, il ne reste souvent que le nom.

mercredi 21 novembre 2012

Nous saurons prendre nos responsabilités !

J'avais l'impression que l'un des modes opératoires du gouvernement précédent pour ne pas s'engager dans un débat était de dire aux citoyens qu'une chose n'était plus un problème parce que justement le gouvernement s'en était occupé. Il n'y a plus de problème, puisque l'on s'en est occupé.

J'ai maintenant la désagréable impression que l'on nous joue une musique similaire, mais différente. J'ai été frappé par l'usage fréquent du mot responsabilité dans le discours de l'actuel gouvernement. « C'est de ma responsabilité » ; « Je suis responsable de cette décision » ; « le gouvernement prend ses responsabilités » souvent d'ailleurs, c'est un moyen de clore une réponse à une question : de toute façon ici s'engage ma responsabilité. Je croyais, peut-être à tort, que ceux qui nous gouvernent étaient déjà responsables de leurs actes ! Ils le sont probablement plus, comme la fameuse lessive qui lave plus blanc que blanc.

Dans les deux cas, j'ai l'impression que ces deux ritournelles sont un moyen plus ou moins élégant de nous dire à nous les citoyens : « de quoi vous préoccupez vous donc, puisque je m'en suis déjà occupé » ou bien « de quoi vous préoccupez vous donc puisque j'en suis responsable. » Circulez...

Dans les deux cas, point de débat !     

  

jeudi 15 novembre 2012

L’argument ad hominem

Supposons que deux débatteurs argumentent sur la valeur d’une proposition, par exemple, sur la réduction des flux migratoires. On peut facilement imaginer que l’un des deux a le sentiment de perdre pied. Sa riposte discrète : l’attaque ad hominem ! Au lieu d’argumenter sur l’intérêt ou sur le manque d’intérêt de la réduction des flux migratoires, il s’en prend à son interlocuteur. L’objectif est de saper la crédibilité de son opposant ou bien de détourner l’attention de l’auditoire, au moins temporairement, sur un aspect que l’on connait pour être une faiblesse de l’opposant ou bien faire définitivement glisser le débat sur un autre sujet. La forme habituelle de l’attaque ad hominem consiste à disqualifier son interlocuteur, parfois même en y associant une touche d’humour pour s’attirer la sympathie de l’audience. Par exemple, l’attaquant peut suggérer que son opposant n’a pas toujours eu sur ce sujet-là une opinion d’une grande constance.


En effet, homo politicus n’aime pas être pris en flagrant délit de se dédire. Changer d’avis semble, en politique, être une maladie honteuse. Dans les autres arènes professionnelles, changer d’avis est considéré comme une preuve d’intelligence ou au moins celle d’une grande capacité à s’adapter aux changements du monde. Pourquoi n’est-ce pas le cas en politique ? Comme le disait Descartes, si deux opinions s’opposent, alors au moins une des deux est erronée. Changer d’opinion c’est indirectement admettre que l’on peut se tromper. Autrement dit, c’est avouer que l’on n’est pas fiable. Et c’est un défaut que les adversaires savent bien exploiter lorsqu’ils sont à court d’arguments ou lorsqu’ils pensent que leurs arguments ne font plus mouche.

Les arguments ad hominem, autrement dit les attaques à la personne, sont particulièrement fréquents dans les débats et dans les commentaires politiques. Ils sont d’autant plus faciles à mettre en œuvre que l’opposant est souvent inconstant. Ils sont aussi particulièrement efficaces, d’autant plus efficaces que l’auditoire semble malheureusement en raffoler.

Les arguments ad hominem appauvrissent grandement le débat qu’il soit politique ou d’une autre nature. De fait, ils mettent un terme à l’affrontement des idées. De notre point de vue, il signale la faiblesse du débatteur qui a recours à un tel argument.

Une célèbre attaque ad hominem fut, parait-il, la réponse que fit lors d’un débat public Abraham Lincoln à une attaque ad hominem de son opposant Stephen Douglas. Celui-ci voulait montrer à l’auditoire que l’opinion d’Abraham Lincoln sur un sujet, que l’on qualifierait de technique, était certainement inférieure en qualité à la sienne. Il dit alors bien connaitre Abraham Lincoln dont il fréquentait régulièrement l’échoppe. Ainsi, il évoqua avec subtilité le métier d’Abraham Lincoln. Pouvait-on faire confiance sur un sujet important et pour un poste de premier plan à un petit commerçant ? La conclusion s’imposait d’elle-même : de manière certaine, non ! Abraham Lincoln contraria le plan de son opposant en disant effectivement se rappeler les fréquentes visites que faisait Stephen Douglas dans son échoppe… visites au cours desquelles il avait le plaisir de satisfaire la passion de son opposant… pour les boissons alcoolisées ! Auquel des deux devait-on le plus faire confiance ? À un commerçant besogneux ou à un alcoolique patenté ?


Repérer une attaque ad hominem est particulièrement aisée. Alors que l’on débat de la valeur d’une proposition, le sujet de l’échange glisse, plus ou moins subrepticement, sur les qualités de l’un des deux participants. Parfois même un des deux protagonistes refuse le débat en jetant en pâture à l’opinion publique les piètres valeurs ou le manque d’aptitude de leur opposant. Voici un florilège d'argument ad hominem.


  •  On ne peut pas avoir entièrement confiance dans votre proposition, vous avez changé si souvent d’opinion (vous êtes déjà trompé si souvent !).
  • Lorsque vous étiez au pouvoir, si je me rappelle bien, votre opinion était bien différente !
  • Cela ne sert à rien de débattre avec vous d’immigration. C’est bien connu, vous êtes raciste ! Votre opinion sur le sujet est déjà faite (je me refuse à débattre d’un sujet aussi sérieux que l’immigration avec quelqu’un comme vous !)
  • Faut-il supprimer le défilé du 14 juillet ? Certainement pas ! Ceux qui pensent le contraire ne comprennent en rien les relations profondes qui lient la France à son armée. Ils ne sont pas des Français authentiques (même s’ils en possèdent bien la nationalité depuis fort longtemps).
  • Je ne pense pas que vous connaissez bien… les Français ! Cela fait tellement de temps que vous fréquentez les allées du pouvoir !
  • Je ne pense pas que vous connaissez bien… le sujet ! Monsieur Allègre, le climat ce n’est pas votre spécialité. (Vos arguments ne sont donc pas recevables !)
  • Peut-on avoir confiance dans les thèses de monsieur Hulot ? Quelles valeurs peuvent donc avoir les propositions d’un présentateur télévision qui émargeait encore récemment chez TF1?

Il semble important de faire la différence entre deux contextes très différents. De quoi débat-on ? L’objectif premier est-il de se forger une opinion sur la valeur des propositions que l’on soumet à notre assentiment en discutant de leurs avantages, de leurs inconvénients et leurs risques respectifs? Dans ce cas, l’attaque ad hominem n’est pas pertinente. Elle détourne l’attention des citoyens du débat central en focalisant l’attention sur le débatteur. 

L’objectif est-il au contraire d’élire un homme ou une femme à un poste qui requiert des qualités que l’on ne trouve pas chez le commun des mortels ? Si la constance dans les idées est une qualité présupposée requise, alors un moyen de disqualifier un opposant est d’exposer son inconstance.

Entre les deux situations, la différence est notable ! Dans le premier cas, la proposition est une politique et c’est notre devoir en tant que citoyen de s’assurer que nous sélectionnons la meilleure des politiques possibles. Dans le second cas, la proposition est un homme ou une femme et c’est aussi notre devoir en tant que citoyen de nous assurer que le meilleur des candidats possibles sera retenu pour le poste.




Abraham Lincoln a acheté, avec un partenaire d’affaires, un magasin à New Salem dans l’Illinois. Il avait 23 ans.

samedi 10 novembre 2012

Je ne vois pas comment on ....

Novembre 2012 - Rapport Jospin sur la moralisation de la vie publique.

Lionel Jospin propose, parait-il, propose la suppression du cumul des mandats. Les critiques des cumulards ne manquent pas. Parmi eux, celles de Jean-Michel Baylet, le sympathique Sénateur et président du conseil général du Tarn-et-Garonne, président de la communauté de communes, etc. Jean-Michel Baylet (interrogé sur RTL le 9/11/2012) ne voit pas comment un Député ou un Sénateur de la République Française pourrait faire correctement son travail sans une quelconque forme ancrage local. Il ne voit pas comment ! Il n'est malheureusement pas le seul parmi nos hommes politiques à ne pas voir comment ils pourraient bien faire leur travail législatif sans un mandat local.

Que l'argument est beau ! Jean-Michel Baylet nous révèle en fait son manque de lucidité (il ne voit pas comment...) et les citoyens pourraient se demander s'il est bon de nommer un sénateur qui manque à ce point de lucidité. Son manque de lucidité ne peut pas être un argument valable pour s'opposer à cette mesure. Il pourrait se demander comment cela se passe dans d'autres pays et obtenir ainsi l'éclairage qui lui manque tant....L'appel à l'ignorance n'est pas à l'évidence un argument que l'on puisse agiter pour soutenir ou pour s'opposer à une proposition. Ceux qui prônent l'abandon du cumul des mandats pourraient aussi bien dire qu'ils ne voient pas pourquoi un législateur de la république ne pourrait pas faire correctement son travail législatif sans un mandat local. Quel débat ! « Je ne vois pas comment un député pourrait faire son travail législatif correctement sans un mandat local » contre « Je ne vois pas pourquoi un député ne pourrait pas faire son travail législatif correctement sans un mandat local. »

Il y a probablement d'autres variantes de cet argument trompeur que j'ai appelé l'appel à l'ignorance. Nous ne manquerons pas de les débusquer dans de prochains billets.  

   

dimanche 4 novembre 2012

Parler des derniers couacs ou débattre !


De quoi parle-t-on ces derniers jours ? Des couacs des uns et des commentaires des autres sur les mêmes couacs !

Parle-t-on encore aujourd'hui de politique en France ? On pourrait en douter ! Où sont les débats d'antan ? Où sont les beaux et grands affrontements d'idées entre de grands courants idéologiques qui permettaient aux auditeurs, téléspectateurs ou lecteurs de finalement se forger une opinion ?

Rien de tel aujourd'hui ? Les commentateurs politiques sont plus enclins à nous décrire les dédales du pouvoir, les petits stratagèmes des uns ou des autres pour prendre les rênes d'un parti, les histoires de concubinage des divers personnages qui peuplent le théâtre politique... et je n'évoque pas les commentaires qui commentent les propos des commentateurs... Avez-vous remarqué que le commentaire est maintenant devenu si important, que l'on oublie parfois de rappeler aux auditeurs l'évènement qui a été à l'origine d'un commentaire ?

Cela nous éloigne à l'évidence des débats politiques de qualité. Parler des hommes et des couacs, cela permet de ne pas parler des choses plus importantes. On pourrait même se demander si les couacs, qui ne semblent a priori pas prémédités, ne sont pas en fait des stratagèmes pour éviter des débats qui pourraient être plus saignants ! Voilà que je me mets moi aussi à commenter !

Lorsque l'on s'intéresse plus aux hommes ou aux femmes qui font de la politique qu'à leurs idées, ce sont les idées qui en pâtissent. Ce mal se répand ! Il a été toujours plus facile d'accuser un opposant des pires maux que de débattre avec lui ! Si l'on veut se débarrasser de son chien, ne suffit-il pas de dire qu'il est enragé ? À force d'affubler une personne des pires attributs, ils deviendront un des éléments de sa personne. Un mensonge souvent répété devient une vérité. Dans cette histoire, il me semble que l'arroseur soit à son tour arrosé. Les socialistes ont un temps accusé Nicolas Sarkozy d'être l'ami des riches (et donc d'être injuste envers les autres) et d'être un président bling-bling ! Les membres de l'U.M.P en profitent à leur tour pour faire le procès en incompétence du premier ministre socialiste.


Que les arguments utilisés soient de mauvaise qualité, soit ! Cela passe encore. Mais aujourd'hui, c’est l’absence d'un vrai débat qui est encore le plus préjudiciable à la démocratie. Pauvreté de l’argumentation et absence de débat sont probablement à mettre en relation. En effet peut-on prendre le risque de débattre, c’est-à-dire de s’opposer, si l’on ne dispose pas d’une capacité à argumenter ou à réfuter ?

                  

lundi 22 octobre 2012

Convoquer les forces de l'histoire !

La scène : vendredi 12 octobre 2012, le 7 — 9 de France Inter. Patrick Cohen, l'animateur du 7-9, introduit le sujet. Il s'agit de débattre de deux propositions de François Fillon pour relancer l'économie en période de crise. La première consiste à supprimer la durée légale du travail. Patrick Cohen demande alors à ses invités de commenter cette proposition. Le premier, l'économiste Bernard Maris, qui n'est pas d'accord avec cette proposition, fait la réponse suivante :


« C'est une remarque [proposition] idéologique. Vieille remarque de la droite ! C'est la remarque que l'on entend depuis Guizot, Thiers, Dunoyer, tout ça ...c'était : pas assez de travail, il ne faut pas protéger les travailleurs. Depuis le Front populaire, on n’arrête pas de dire que le temps légal du travail, ça casse le marché du travail, ça ne fluidifie pas le marché du travail... La durée légale du travail c'est une protection historique du travail. Revenir là-dessus c'est un moins-disant social. Cela veut dire que le travail est la variable d'ajustement de la mondialisation.... »

Il m’apparaît difficile de se forger une idée sur la qualité de cette proposition sur la base d'une telle argumentation. Bernard Maris n'argumente pas vraiment contre la proposition. On apprend qu'elle est ancienne et de droite, il qu'il n'est pas d'accord avec cette proposition. Mais, l'on ne sait pas pourquoi il n'est pas d'accord. Franchement, on reste sur sa faim. On a l'impression que convoquer les forces de l'histoire cela permet d'enfumer les auditeurs !  

Version révisée le 22/10/2012

Les mots ont leur importance...

Le Philosophe Michaël Foessel, auteur de Après la Fin du Monde : Critique de la Raison Apocalyptique, nous a rappelé dimanche 21 octobre 2012 dans l'émission de Laurence Luret (Parenthèse, France Inter) l'importance des mots. Vivons-nous la fin du monde ou la fin d'un monde? Telle était l'une des accroches de l'émission. Il nous a rappelé que d'une part les mots ont un sens et que d'autre part il est fréquent que les discours politiques et médiatiques fassent un usage inapproprié des mots. Souvent d'ailleurs, l'exagération est la règle. Il s'agit de donner de l'importance à la chose. Chacune d'entre nous peut observer tous les jours ce phénomène dans la sphère publique, professionnelle ou privée. Qui se rappelle la victoire historique de ce petit club de foot l'année dernière ? (visiblement elle n'est pas passée dans l'Histoire). Aujourd'hui tout est énorme

Michaël Foessel nous rappelle que l'usage abusif de certains mots (accident, catastrophe, apocalypse, sauvetage, etc.) déclenche irrémédiablement une forme particulière de relation au temps et à l'avenir. Son message doit nous inciter à questionner les mots que les hommes et femmes politiques nous assènent quotidiennement, comme prioritaire ou juste. Certains partis politiques font d'ailleurs main basse sur certains mots. Ils se sont ainsi approprié un champ sémantique. On peut se rappeler la phrase maintenant célèbre de V. Giscard d'Estaing : Vous n'avez pas le monopole du coeur. (à voir sur le site de l'INA).
   

Site de l'émission (et possibilité de la podcaster ou de l'écouter pendant quelques jours encore)  

jeudi 4 octobre 2012

C'est populaire .... donc...... c'est bon !

On peut être pour une chose... on peut être contre une chose... mais dans tous les cas,  il faut savoir si on a de bonnes raisons d'être pour ... ou d'être contre.

Le 17 septembre, Yves Calvi proposait, en fin de soirée, dans l'émission Mots Croisés un débat intitulé « Homos, Mariés et Parents ? » Je pensais y trouver un débat intense dans lequel chacune des parties cherchant à convaincre les auditeurs du bien-fondé de sa position sur le sujet, développait son argumentation et combattait celle des adversaires à sa cause.

J'ai retenu de cette soirée que pour les supporters du mariage homosexuel le débat n'était plus nécessaire puisqu’à l'évidence 64 % des Français était favorable à son adoption et qu'il serait donc, de toute manière, autorisé par la loi. J'ai également découvert que le fait qu'une proposition de loi soit populaire autorisait ses défendeurs à dire qu'il s'agissait donc d'une bonne mesure. Elle est populaire, elle est donc bonne ! Cette forme d'argument est à mettre en relation avec celle qui consiste à dire qu'une mesure est bonne parce qu'elle est courageuse. Il faut en effet être courageux pour favoriser l'adoption d'une mesure qui n'est pas populaire. Elle n'est pas populaire puisqu'une majorité des électeurs n'y est pas favorable.

Les mêmes données, à savoir 64 % des Français sont favorables à la mesure A, peuvent donc servir d'argument dans un sens comme dans l'autre. Pour obtenir notre assentiment à l'adoption de la proposition A, il suffit de dire qu'elle est bonne puisqu'elle est populaire et de dire que puisqu'il est courageux de s'y opposer, il est bon de s'y opposer.

Il convient de se demander si le courage ou la popularité sont des arguments recevables. Est-ce qu'une mesure est bonne parce qu'elle est populaire ? Est-ce qu'une réforme est bonne parce qu'elle est courageuse ? Plus précisément, est-ce que le fait de savoir qu'elle est populaire (ou courageuse) nous permet de juger de sa valeur, laquelle est proportionnelle aux bénéfices (nets) que son adoption procurera à la société. À l'évidence, il n'y a pas de lien logique entre popularité et bénéfices pour la société. Afin de s'en assurer, il convient de se demander au préalable ce qui peut constituer un bénéfice pour la société. On admet que l'augmentation du pouvoir d'achat, la réduction du chômage, la réduction des inégalités, etc. sont des changements bénéfiques.

Par contre, il est aisé de concevoir qu'une mesure qui est susceptible de procurer des bénéfices à la société soit effectivement populaire auprès des citoyens. Ainsi si l'on parvient à convaincre les citoyens qu'une mesure est bonne, par exemple à l'aide d'un argument A, alors il est probable qu'elle devienne populaire. La séquence est : 

Argument A --> la réforme est considérée comme Bonne pour la société --> la réforme est Populaire.
(le dernier lien repose sur l'hypothèse que les citoyens apprécient les réformes qu'ils qualifient comme bonne pour la société).
Cette séquence est substantiellement différente de la séquence proposée dans l'argumentation dont on cherche à apprécier la qualité, à savoir :

La réforme est Populaire -->, la réforme est donc Bonne pour la société.

L'argument de popularité, bien qu'il puisse être convaincant, n'en est pas moins fallacieux puisqu'il n'apporte aucune information quant à la qualité de la proposition.

Pourquoi est-il alors si convaincant ? La popularité d'une mesure est, de manière implicite, une pression sociale, celle de la conformité. Par ailleurs, psychologiquement il est toujours plus confortable d'être dans le camp des vainqueurs.

Dans le cas du mariage homosexuel, les opposants pourraient imaginer être traité d'homophobes ou d'affreux conservateurs qui s'opposent à la marche inéluctable du progrès... deux qualificatifs dont personne ne souhaite à l'évidence se sentir affublé.

À qui profite le crime ? Il n'y a, a priori, que des avantages électoraux pour un parti politique qui se propose de faire adopter une proposition qui est déjà populaire. Certes, il apparaitra à l'écoute des citoyens... On pourra, pour disqualifier les opposants d'une réforme populaire, les accuser de ne pas être à l'écoute des citoyens. On pourra même utiliser l'argument selon lequel le peuple est dans sa majorité sage et, puisqu'il ne peut donc se tromper, une réforme populaire devra donc être considérée comme une bonne réforme. Mais finalement, que la réforme soit populaire ou non, que le peuple soit sage ou non, que les opposants soient eux-mêmes considérés comme des citoyens éclairés ou non, la question restera  toujours la même : est-ce que cette réforme est Bonne pour la société ?
  
Pour s'assurer que courage et popularité ne sont pas des arguments pertinents pour apprécier qu'une proposition est digne d'intérêt... on peut regarder comment son statut évolue au cours du temps. Prenons le cas d'une proposition de loi que l'on pourrait qualifier de courageuse parce qu'elle n'est pas populaire. Supposons qu'elle soit finalement votée et mise en œuvre avec succès. Conserve-t-elle son qualificatif de courageuse ? On peut répondre à cette question par la négative. Le courage consiste à faire accepter une réforme qui n'est pas populaire. lorsque elle est mise en œuvre le courage a-t-il encore un peu de crédit ? On peut par ailleurs se demander si le courage ne qualifie pas plus celui ou celle qui soumet, malgré son impopularité, une réforme à notre assentiment.       
  
        
           
   

vendredi 14 septembre 2012

S'inspirer des pratiques des meilleurs ...

Il est aujourd'hui très fréquent de s'inspirer des pratiques des meilleurs de la classe pour définir une politique publique ou une stratégie privée. C'est ainsi qu'on n'hésite plus à faire référence dans le monde politique au système éducatif de tel ou tel pays bien placé dans le classement de l'OCDE  pour défendre une proposition de réforme éducative ou pour s'opposer à une autre. A priori, prendre exemple sur les meilleurs est une pratique que l'on ne questionne plus (et que l'on probablement que très rarement questionnée). 

Les critiques de cette démarche confinent souvent à suggérer que les pays avec lesquels on se compare ne sont pas comme la France. Ainsi, prendre exemple sur la Finlande, la Suède ou le Danemark n'est pas judicieux .... parce qu'il s'agit de petits pays. On ne peut comparer la France avec plus de 60 millions d'habitants avec la Finlande qui n'en compte que 5 millions environ...avec la Suède et ses 10 millions ou bien encore avec le Danemark (5 millions d'habitants). Mais doit-on pour autant comparer la France avec la Thaïlande, le pays du monde le plus proche en nombre d'habitants de celui de la France ? Nous reviendrons dans un prochain billet sur l'usage des arguments fondés, implicitement ou explicitement, sur la comparaison dont découle la démarche qui consiste à emprunter leurs pratiques aux meilleurs. 

Aujourd'hui c'est l'analyse critique de ce problème que propose Jerôme Barthelemy, Professeur à l'ESSEC, sur son blog Mieux connaitre la recherche en management que je vous suggère de consulter. Jérôme Barthélemy, explique pourquoi, dans le domaine du management,  cette démarche est souvent vaine, parfois risquée et il nous incite à faire preuve de vigilance lorsque l'on cherche à s'inspirer des pratiques des meilleurs. Lien vers le billet.  

vendredi 31 août 2012

Le projet : ne pas se laisser convaincre par des arguments trompeurs !

Quel est le projet de ce blog ?

Tous les jours, souvent implicitement, on nous demande d'avoir une opinion sur une multitude de choses, dans le cadre de nos vies familiale, associative, professionnelle ou citoyenne. Après nous avoir asséné quelques arguments sur une proposition qui est importante pour notre interlocuteur, on nous demande notre assentiment. Impossible d'y échapper ! Doit-on interdire la cigarette sur les plages ? Le gouvernement devrait-il renoncer à la loi Hadopi ? Faut-il baisser le prix des carburants ? Faut-il investir en Asie ?

Nous convaincre de la qualité de leur proposition, voilà donc le projet de tous ceux qui sollicitent notre assentiment. Sommes-nous suffisamment armés pour former un jugement en connaissance de cause, pour nous donner une saine opinion de chacune des propositions que l'on soumet à notre appréciation ? En toute humilité, la réponse à cette question est probablement non ! Le non sera d'autant franc que ceux qui espèrent avoir notre assentiment en font leur profession. Par exemple, les femmes et les hommes politiques sont rodés dans l'art de convaincre les citoyens. Mais nous, les citoyens de base, nous ne disposons pas habituellement des moyens qui devraient nous permettre de porter un jugement éclairé sur les arguments qui accompagnent les propositions électorales. Le combat est inégal ! D'un côté du ring, on découvre des professionnels aguerris. Tous les jours, ils débattent avec leurs opposants. Et de l'autre côté du ring, on trouve de sympathiques amateurs.

Par ailleurs, un argument, même s'il est trompeur, possède le plus souvent le pouvoir de nous convaincre par ce qu'il fait intuitivement sens ! Outre cela, celui ou celle qui le présente a toujours un avantage sur celui qui l'entend : l'avantage de la préparation. Comment alors ne pas se faire piéger par des arguments qui peuvent nous apparaître très convaincants mais qui sont, en y regardant de plus près, parfois erronés ? Nous pensons qu'il n'y a rien de tel pour s'assurer de la validité d'un argument de procéder à son analyse systématique, à sa déconstruction !

Qu'est-ce qu'un argument et quelle est sa relation avec une proposition, une demande, pour laquelle on sollicite notre assentiment ? Un argument vise à nous dire simplement pourquoi une proposition est bonne. Soyez sans crainte, nous ne chercherons pas à nous convaincre dans ce blog qu'une proposition est bonne ou mauvaise. La liberté de jugement de tous est garantie ! Par contre, nous chasserons ensemble l'argument trompeur. Nous vous proposons, au lieu de porter un jugement sur la qualité des propositions que l'on soumet à votre assentiment, d'apprécier la qualité des arguments qui cherchent à nous convaincre qu'une proposition mérite notre accord. Dans ce projet, chacun pourra donc conserver naturellement ses convictions puisque la proposition ne sera pas l'objet direct de notre investigation et de notre appréciation. Par contre, nous serons en mesure -- c'est tout du moins l'espoir que nous caressons, d'apprécier la qualité de la forme des arguments que l'on nous administre à longueur de journée.

Apprécier la qualité d'un argument cela peut consister à l'ausculter pour savoir s'il souffre d'une quelconque pathologie trompeuse. Cela peut également consister à le déconstruire pour mieux en comprendre le mode opératoire. C'est autour de ces deux méthodes que notre projet s'articule.

Nous pensons que l'actualité nous pourvoira avec de nombreux cas sur lesquels nous pourrons exercer notre vigilance !